La MIF de Fred Baillif
Avec Claudia Grob, Anaïs Uldry, Kassia Da Costa, Joyce Esther Ndayisenga, Charlie Areddy, Amélie Tonsi, Amandine Golay, Sara Tulu, Nadim Ahmed, Isabel De Abreu Cannavo
Sortie en Suisse romande : 9 mars
Elles s’appellent Audrey, Novinha, Justine, Précieuse ou Alison et sont mineures. Elles ont été placées dans un foyer sous la responsabilité d’une équipe d’éducateurs et de la directrice Lora. Elles s’engueulent, s’embrassent, se mentent, se confient… Et si c’était aussi ça, une MIF ?
Avec beaucoup de délicatesse et une grande maîtrise, Fréderic Baillif nous plonge dans le quotidien de ces adolescentes, au plus près de leur blessure, de leur joie et de leurs rêves. Joué en grande majorité par des acteurs non professionnels, le film frappe par son énergie. Il rend aussi hommage à des professionnels tout en questionnant un système qui en privilégiant essentiellement la protection, montre ses limites.
Le film a remporté de nombreux prix dont celui du meilleur film dans la catégorie Génération 14plus à la Berlinale 2021 et le Bayard d’or au festival international du film francophone de Namur. Claudia Grob, dans le rôle de Lora, est très justement nommée pour le prix d’interprétation du cinéma suisse.
Interview
Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?
Ces dernières années, j’ai rencontré beaucoup de personnes victimes d’abus sexuels et qui ont décidé d’en parler. Le sujet ayant été déjà beaucoup traité, je voulais trouver un angle nouveau. J’ai eu l’idée de m’intéresser à un foyer où j’avais travaillé comme éducateur vingt ans plus tôt. J’ai retrouvé Claudia, la directrice du foyer, qui m’a ouvert les portes.
Quel lien avez-vous avec le milieu social ?
J’ai suivi une formation d’éducateur avec des stages en institution. Je me suis beaucoup interrogé sur le sens même du travail social au-delà de la protection, qui est en fait plus du ressort de la police. J’ai aussi questionné la notion de « distance professionnelle » qu’il faut mettre avec les personnes dont on s’occupe et qui est trop souvent une excuse pour ne pas s’engager. J’ai pris une autre direction… J’avais besoin de concret, ce que le cinéma m’a apporté. Mais j’ai gardé un lien avec le milieu social, je reste un « travailleur social indépendant ».
Le film est un concentré d’histoires et d’horizons divers. Comment avez-vous eu accès à tous ces récits ?
Au cours des interviews et des rencontres, les jeunes et les éducateurs m’ont raconté de nombreuses histoires différentes. J’ai alors décidé de les mélanger et de les rapporter à la manière d’un documentaire, caméra à l’épaule. C’est une manière de s’immerger dans ce lieu même si tout reste de la fiction.
La plupart des personnes à l’écran ne sont pas des professionnels. Quelle technique avez-vous utilisé pour leur faire jouer leur personnage ?
Pendant deux ans, nous avons mis en place des ateliers d’improvisation. Grâce à cette relation de confiance qui se tisse, les acteurs osent se lancer. Ensuite, nous faisons une ou deux prises longues pendant lesquelles je leur souffle peu à peu des informations. Je les laisse réagir selon leur personnalité, puis je les guide dans la direction que je veux. Mais les personnes restent libres tout en restant dans le cadre du scénario.
Cette technique me permet d’aller plus loin dans l’écriture. Je n’écris pas de dialogue ; je m’inspire de la personnalité propre des acteurs qui livrent leurs propres mots et grâce à eux, leurs émotions. C’est pourquoi les filles ne devaient pas se prendre pour des actrices au risque de sonner faux. Ainsi, Kassia (qui joue Novinha) jure naturellement beaucoup et je lui ai demandé de jurer encore davantage…
D’autres films récents traitent du sujet du placement. Quel objectif visez-vous avec “La Mif” ?
J’essaie de présenter le monde du placement car il y a beaucoup de fantasme à ce sujet. Je veux aussi faire comprendre ce que cela signifie pour un jeune d’être placé : c’est une forme d’exclusion, de mise en ghetto Or, on sous-estime l’impact que ce sentiment peut avoir sur une personnalité en construction. L’accompagnement devrait être plus important que la protection elle-même. On ne met pas les priorités aux bons endroits.
Comment les accompagner d’après vous ?
En faisant des films comme La Mif ! J’ai une démarche clairement éducative. II y a quelque chose de très valorisant à permettre à ces jeunes de vivre ces expériences. Au fur et à mesure, on voit comment elles s’épanouissent, développent une confiance personnelle : ce sont des graines qu’on plante. Nous les suivons encore maintenant.
Claudia Grob est particulièrement impressionnante dans le rôle de la directrice du foyer. Serait-elle votre porte-parole ?
Claudia joue son propre rôle. Elle a été très importante pour moi car elle m’a apporté beaucoup d’information dès la phase des recherches et des interviews. J’ai bénéficié de ces questionnements, notamment sur le regard posé sur la sexualité des mineurs. Elle en a beaucoup souffert. La scène où elle s’adresse au conseil de Fondation a été imaginée mais je lui ai offert une certaine manière de vider son sac. C’est un beau monologue même si nous avons beaucoup coupé au montage.
Est-ce que certains personnages vous touchent particulièrement ?
Je suis très touché par le portait de Novinha, la jeune brésilienne : elle est tellement en colère et attachante à la fois. Elle est réellement comme ça dans la vie.
L’histoire de Justine nous offre un autre point de vue, tout en étant crédible. Elle vient d’un milieu bourgeois, ce qui permet de détruire certains clichées.
Le personnage de Précieuse montre la complexité de la question des abus et la nécessité de mener des enquêtes. Ma filleule Joyce a accepté de jouer ce rôle même si ce ne fut pas facile. C’est la difficulté avec des non-professionnels : il faut assumer ensuite le fait d’avoir joué tel ou tel personnage. Je suis beaucoup aidé par ma compagne qui est à la fois mon soutien et mon assistante.
Virginie Hours – reporter pour Color My Geneva, tous droits réservés