Le départ des enfants est un tournant de nos vies qui nous touche ou touchera presque toutes et tout un jour ou l’autre. Et certains parents souffrent même profondément dans leur chair de l’envol de leur progéniture, affectant ainsi la stabilité du couple qui s’est oublié en se consacrant principalement aux enfants.
La romancière s’empare brillamment avec un ton juste du « syndrome du nid vide », sujet qui est encore tabou dans de nombreuses familles. Elle décortique les relations familiales d’un couple avec deux enfants, dont le fils part à Zurich pour poursuivre des études à l’université. Jeanne la mère, à qui pèse la solitude, perd pied et reporte alors toute son attention sur sa petite dernière, jusqu’à l’étouffer. Le père, absorbé par son travail semble indifférent au bouleversement qui touche l’équilibre de sa famille. Le couple a de la peine à reconnaître qu’il traverse une période difficile et n’arrive pas à mettre des mots sur son désarroi. Comment alors cette famille va-t-elle réussir à surmonter ce changement ? Le départ des enfants étant souvent l’accélérateur de séparation, comment le couple va-t-il se sauvegarder, se réinventer ? Le départ des enfants ne permet-il pas une seconde jeunesse, une liberté retrouvée ?
Kyra Dupont Troubetzkoy, qui dédie son roman « À toutes les mères », s’empare de ce sujet universel en réussissant à créer un suspens, construit comme un thriller, autour des affres de cette famille déstabilisée et aimante. Nous nous attachons au personnage de la mère qui se prend les pieds dans son trop plein d’amour jusqu’au ridicule. Elle se débat également avec la honte de ne pas se réjouir de l’indépendance de son fils, acceptant mal le temps qui passe, le cycle naturel de la vie. Cela au risque de provoquer des drames au sein de sa famille.
La romancière, qui a parcouru le monde comme grand reporter et bénévole pour le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, possède un œil expérimenté pour capter les souffrances humaines. Elle nous invite dans L’envol des Milans à réfléchir sur le vide laissé par nos enfants et à nous y préparer. Elle cite à cet effet l’ouvrage de Khalil Gibran, intitulé Le prophète « Vos enfants ne sont pas vos enfants…et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas ».
Ce roman est un grand coup de cœur, il met des mots justes et vrais sur l’arrachement que peut représenter le départ des enfants pour leurs parents. À lire absolument pour mieux appréhender cette étape et s’y préparer tout en essayant de surmonter ce changement de vie.
L’envol des milans de Kyra Dupont Troubetzkoy (aux éditions 5 sens) dans toutes les librairies – Chf 19.-
Le petit coin des confidences de Kyra Dupont Troubetzkoy pour Color my Geneva :
Sandrine Bourgeois : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce roman sur un thème peu abordé, le départ des enfants de la cellule familiale pour vivre leur vie ?
Kyra Dupont Troubetzkoy : Ce phénomène touche 35 % des femmes, mais affecte aussi les hommes et la famille dans son ensemble. Plus d’un tiers des parents même ! En effet, lorsque les enfants quittent le foyer familial, cela peut s’avérer très dur pour le couple qui s’est parfois oublié sur l’autel de l’éducation. Il faut alors se réinventer, sinon le départ des enfants peut se transformer en un accélérateur de séparation.
Ce « Leaving home » syndrome est encore un sujet un peu tabou dans les familles. Comme ils ont rendu leurs enfants adultes, les adultes doivent l’être eux-mêmes. Les parents ont de la peine à reconnaître qu’ils traversent une période terrible et font face à une grande solitude. Beaucoup de mères se retiennent d’en parler et jettent leur dévolu plus tard sur leurs petits-enfants. Mais il existe aussi des mères toxiques qui empêchent leurs enfants de partir ou les maltraitent, car elles souffrent. Rien de mieux que la fiction pour traiter ce genre de problématique.
S.B : Pouvez-vous nous expliquer le choix du titre « L’envol des milans » ?
K.D.T : Un titre doit en dire un peu, mais pas trop. Suggérer et intriguer. J’aimais la symbolique de ces oiseaux de proie. Ils fascinent Jeanne, mon personnage, qui inconsciemment se reconnaît en eux. Elle se plaît à les regarder coloniser son jardin et ne voit pas tout de suite ce qu’ils essaient de lui révéler. On peut les craindre, ce sont des charognards qui parfois dévorent leurs petits, mais il faut aussi les voir planer, effectuer leurs piqués vertigineux dans une parade d’amour aux relents morbides. C’est magnifique. Et puis, un jour ils repartent comme ils sont venus, et l’on ne peut rien y faire. C’est le cycle naturel. Je trouve cela poétique.
S.B : Pensez-vous que les mères souffrent plus que les pères du départ du nid de leurs enfants ?
K.D.T : C’est vrai les mères ont plus de mal, quand les pères s’en accommodent davantage. Mais ce n’est pas toujours le cas. Je connais deux pères de mon entourage pour qui le départ de leur ainé a laissé un immense vide. Il serait faux de croire que seules les mères en souffrent ou de penser qu’elles ont le monopole du vide que peut occasionner le départ des enfants. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question de genre, mais plutôt de personnalité, de façon dont on aménage sa vie personnelle et professionnelle, comment on se prépare à l’après-enfants. Par contre, ce que l’on peut dire c’est que leur départ se double souvent d’une période pas toujours évidente pour les femmes : la ménopause, le sentiment de se sentir vieillir. Jeanne, mon personnage, se sent transparente, elle a l’impression qu’elle n’est plus un objet de séduction. L’un de ses amis lui dit cette phrase effrayante : Aux alentours de la cinquantaine, « les femmes ont tout derrière et les hommes ont tout devant ».
S.B : Le départ des enfants n’est-il pas aussi une liberté retrouvée pour le couple ?
K.D.T : C’est justement le problème, cela ne devrait pas être une liberté retrouvée. Le couple devrait se ménager avant. Souvent, au départ des enfants, les parents font le constat qu’ils se sont sacrifiés sur l’autel de l’éducation et ils ne savent plus très bien quoi se dire d’autre. Ils n’ont pas suffisamment pris soin de leur relation et c’est difficile de se retrouver. J’ai écrit ce livre pour aider les femmes, mais aussi les hommes à ne pas s’oublier, à prendre les devants pour éviter ce genre de désert. On peut être de bons parents sans n’être que de bons parents.
S.B : Quel est votre dernier coup de cœur littéraire ?
K.D.T : J’ai beaucoup aimé le dernier roman de François-Henri Désérable, Mon maître et mon vainqueur. Je suis aussi en train de lire S’adapter de Clara Dupont-Monod et en parallèle Solitudes intérieures de Lucie Desbordes que j’ai découverte lors d’une conférence avec Clara Molloy et son opuscule Grandir (que je recommande vivement !) dans le cadre du festival La fureur de lire. Ces trois derniers livres traitent tous de la différence et ce qu’elle nous apprend sur nous. Et le Goncourt aussi, La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Sarr.
S.B : Vous habitez Genève, pouvez-vous nous confier vos lieux préférés ?
K.D.T : J’aime me promener dans la campagne genevoise, au Carre d’aval ou en forêt à Jussy. J’adore aussi voir le lac depuis les berges et le coucher de soleil sur le Jura. Pour ce qui est des restaurants, je conseille les filets de perches du lac au Café du soleil de Corsier et les tagliatelle al verde de mon ami Adèle qui tient le restaurant Côté Parc. Pour les boutiques, il y a George rue Verdaine, ou la librairie Le chien bleu…
Sandrine Bourgeois- Reporter pour Color My Geneva, tous droits réservés