Qui se souvient de Bruno Stefanini ? Sûrement celles et ceux d’une autre génération que la nôtre. Et c’est tout l’intérêt de ce documentaire. En retraçant sous forme humoristique le parcours étonnant de ce self-made man, c’est l’histoire de la confédération qui est revisitée : la méfiance vis-à-vis des italiens catholiques, la drôle de guerre et l’influence du général Guisan, la crise immobilière, la votation « pour une Suisse sans armée »… Bruno Stefanini ne laisse pas indifférent même si sa pingrerie et son machisme ne le rendent pas forcément sympathique. Certains diront que c’était un homme de son temps ! Mais c’est aussi une réflexion sur la vanité des hommes et l’absurdité de l’accumulation.
« Un curieux héritage « de Thomas Haemmerli
Avec Veronika Stefanini, etBettina Stefanini
Sortie : 3 septembre 2025
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Une histoire suisse
Le réalisateur Thomas Haemmerli s’est passionné pour ce destin qui, selon lui, est un véritable miroir de notre société. Né en 1924 à Winterthour, d’un père italien catholique et d’une mère des Grisons, Bruno Stefanini a très tôt le sens de l’argent et l’ambition d’en gagner beaucoup. Il mise ainsi sur le boom de la construction après la guerre et fait fructifier l’héritage de son père… Il pense surtout avec succès à investir ses revenus locatifs dans de nouveaux projets. Il a également un incroyable flair pour anticiper les besoins de la société. C’est ainsi qu’il imagine dans les années 60 des immeubles constitués uniquement d’appartements de petite taille, permettant aux femmes seules ou aux concubins de vivre dans des surfaces au loyer abordable. A la fin de sa vie, il sera un des plus importants propriétaires privés de biens fonciers en Suisse. Par ailleurs, ses yeux bleus font des ravages et il séduit ! Il est alors l’exemple type de l’homme macho bon vivant, multipliant les conquêtes et payant les avortements de ses maîtresses… L’homme ne sort pas grandi de ce documentaire qui le décrit comme un grippe-sou qui fera le malheur de sa propre famille.
En 1944, il est aspirant-officier et devient capitaine d’infanterie ; il sert 1500 jours dans l’armée. Cette épisode de sa vie le marquera profondément et il gardera toujours un grand respect pour l’institution et pour le général Guisan… et une aversion pour les squatters et les anti-militaristes !
Tout ça pour ça ?
Bruno Stefanini est un collectionneur compulsif et c’est ce qui a plu au réalisateur Thomas Haemmerli dont la mère souffre elle-même du syndrome de Diogène. L’amoncellement, il connaît ! L’ex-femme de Stefanini explique cette pathologie par la peur de l’abandon : négligé par ses parents durant son enfance, il n’aurait de cesse que de se créer un nid en accumulant les objets. Son rêve secret était de les rassembler ensuite dans 4 musées ouverts pour le peuple. Rien ne se passera comme il l’avait planifié malgré son entêtement et son argent. Ce bazar hétéroclite se révèlera un cadeau empoisonné pour ses légataires. Savon, tank, tenue du général Guisan… mais aussi des œuvres de Giacometti ou Vallotton. Il s’agit de plus de 34 000 objets d’un montant d’1,5 milliards de franc suisses. Une grande partie des objets moisit encore dans des cartons. Curieux héritage…
Le film a été projeté en ouverture des Journées de Soleure le 22 janvier 2025.