A l’occasion de la sortie du très sensible « La vraie famille », entretien avec le réalisateur français Fabien Gorgeart. Moment idéal pour parler cinéma et… famille !
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Vos deux premiers films abordent le sujet de la famille. Pourquoi ce thème vous interpelle-t-il autant ?
Il y a 25 ans, ma famille a accueilli un petit garçon. J’ai toujours voulu évoquer cette histoire personnelle mais sans savoir réellement comment aborder ce sujet. Dans mon premier film qui évoque la GPA, je questionne déjà d’une certaine manière le lien familial. Encouragé par Diane ma productrice, j’ai réussi à aller au bout de cette histoire en trouvant des clés me permettant de prendre de la distance avec mon vécu, notamment en rencontrant d’autres familles d’accueil et des éducateurs spécialisés.
Ma démarche n’est pas militante. Ce film parle avant tout d’émotion, en l’occurrence un amour qui nous fait déplacer des montagnes mais aussi parfois pervertir notre perception juste des choses, faire des bêtises. C’est un film sur le débordement d’amour, et non sur le manque. Il s’appuie sur un fait sociétal (le placement, les familles d’accueil) pour questionner ce sujet notamment à travers le personnage d’Anna.
Quelle définition donneriez-vous de la famille ?
Je passe mon temps à défaire cette définition car à mon sens, la famille n’a de cesse de muter, d’évoluer. Ma propre famille d’aujourd’hui est très différente de celle qui existait quand j’étais enfant ; elle n’est pas plus vraie ou moins vraie.
Ce qui fait famille, ce sont des liens dictés par l’amour, par la notion d’attachement même si on n’aime pas forcément toutes les personnes. Ce sont les personnes avec qui on vit au quotidien mais aussi les liens biologiques qui peuvent se réinventer à travers un divorce, des secrets familiaux qui se lèvent, etc. Finalement, c’est le lien et l’attachement très fort avec des personnes qui appartiennent à un cercle familial.
Dans le film, la vraie famille se compose d’Anna, Driss, Jules et Adrien. Dans votre propre histoire de famille d’accueil, quel rôle tenez-vous?
Je suis Adrien. Quand le petit garçon est arrivé dans notre famille, il avait 18 mois. Je me souviens d’avoir été touché par sa fragilité. J’étais aussi fier de la manière dont ma mère s’occupait de lui, réussissait à l’apaiser : elle faisait du bien à quelqu’un. Elle a donné de l’amour physique, charnel.
Le métier est celui d’assistante familiale mais en réalité c’est toute la famille qui est impliquée dans cet accueil, d’où le terme de « famille d’accueil ». Emotionnellement, la frontière est compliquée pour tous ses membres : aimez le mais pas trop. Nous n’avons jamais revu le petit garçon. Ce qui m’importe aujourd’hui est qu’il voit le film et qu’il comprenne qu’il était important pour nous. Il n’y a pas de regret. C’était bien qu’on soit une famille d’accueil même s’il y a un prix à payer. Cette histoire fait partie de mon ADN. , Pourtant, j’ai parfois un sentiment d’irréel face à cette histoire. C’est pourquoi, il était important que mon film se termine dans un cinéma.
Le couple de parents apparait très soudé, idéal. Comment avez-vous réfléchi à ces figures ?
J’avais envie d’assumer que c’était un film sur l’amour. Je n’avais pas envie de montrer un couple dysfonctionnel comme c’est courant au cinéma, mais un couple qui est très lié, qui s’aime et dont l’histoire allait froisser leur système, leur relation. D’où l’idée d’ouvrir le film sur cette chorégraphie qui les montre très complices.
Lui a conscience plus tôt que la séparation va être difficile. Il intègre cette réalité parce qu’en face de lui, il a la personne du père biologique de Simon. Anna n’a personne face à elle pour faire le pendant. Elle a pris deux places, la sienne et celle de la mère. L’idée de partir de l’image d’un couple harmonieux, heureux, permet de percevoir les signaux du dysfonctionnement de manière plus précise.
Comment avez-vous choisi les deux acteurs ?
J’ai eu pour Mélanie et Lyes une bouffée d’évidence. Je venais de voir Lyes dans un rôle secondaire ; je l’avais trouvé super et j’étais curieux de le rencontrer. J’ai eu un coup de cœur pour lui. Ce qu’il apporte dans le film, c’est le sentiment de « pur présent ». Quand il répare un sabre laser, il le fait vraiment ! Mélanie est le chaînon manquant entre ma mère et Meryl Streep. Elle n’est pas sophistiquée, elle peut s’abandonner très facilement et en même temps, elle a une précision, une perfection de jeu, une justesse. Quand je l’ai rencontrée, elle avait cette simplicité que je ne lui connaissais pas et qui m’a donnée envie de faire le film avec elle.
Les lieux de tournage étaient-ils importants pour vous ?
J’ai un attachement très fort à la Bretagne car j’ai grandi à côté de Quimper dans un lotissement. J’étais donc content que le film soit associé à la Bretagne car c’est là que nous avons vécu cette histoire. C’était important de garder aussi un lien avec ce que j’ai vécu en terme de milieu social, d’ambiance. Le film a été tourné en Normandie et en Bretagne entre Rennes et St Malo : Dol de Bretagne, Rennes, Avranches. Les scènes de montagne se déroulant à Taninges, nous nous sommes arrêtés plusieurs fois à Genève lors des repérages.
Est-ce que votre prochain film va aussi évoquer la famille ?
Oui et non. Il s’appellera « Dramateens » et racontera la dernière année au lycée de deux garçons et une fille et le débordement des émotions face aux adultes. Je vais projeter mon adolescence, ma découverte du théâtre, l’amour, l’amitié, etc, mais aussi ce que je commence à ressentir comme père vis-à-vis d’un enfant. Je sens que les relations père-fille vont prendre beaucoup de place dans cette histoire. Je suis papa d’une petite fille de 5 ans et j’ai un nouveau plan à explorer, celui du futur.
« La vraie famille » de Fabien Gorgeart avec Mélanie Thierry, Lyes Salem et Felix Moati
Histoire :
Anna (Mélanie Thierry) et son mari Driss (Lyes Salem) forment un couple parfait avec 3 garçons Adrien, Jules et Simon. Seulement, Simon n’est pas leur fils biologique. Il a été placé chez eux quand il avait 18 mois. Le temps a passé, Simon a grandi et son vrai père (Felix Moati) souhaite qu’il revienne vivre avec lui. Mais Anna n’est pas prête à se séparer de Simon qu’elle traite comme son propre fils.
Critique :
Fabien Gorgeart nous offre un bijou de sensibilité et d’émotion avec son deuxième film. Sans tomber dans le mélodrame, il nous conte avec habileté une histoire humaine que lui-même a vécu quand il était petit. Mélanie Thierry et Lyes Salem sont parfaits chacun dans leur rôle et contribuent à un équilibre qui transforme ce film en un drame solaire.
Le film a reçu le Valois du jury et le Valois de la meilleure actrice lors de la 14ème édition du festival du film francophone d’Angoulême.
Date de sortie : 23 février 2022
Virginie H. – reporter pour Color My Geneva, tous droits réservés