Ingrid (Julianne Moore) est devenue un écrivain à succès. Lors d’une séance de dédicace, elle apprend que son amie de longue date Martha (Tilda Swinton) est très malade d’un cancer. A cette occasion, elles renouent et retrouvent le plaisir de leurs échanges. Mais face à l’inéluctable, Martha va demander à Ingrid de l’aider à accélérer son départ…
La Chambre d’à côté de Pedro Almodóvar, avec Tilda Swinton, Julianne Moore, John Turturro
Date de sortie : 8 janvier 2025
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Malgré ses 75 ans, Pedro Almodovar nous étonne toujours.
La chambre d’à côté, inspiré du roman de Sigrid Nunez Quel est donc ton tourment ? est son premier film en langue anglaise qui a pour cadre les Etats-Unis. Il délaisse ses acteurs fétiches (Penelope Cruz, Antonio Banderas) pour deux grandes actrices anglophones Julianne Moore et Tilda Swinton. Elles sont toutes deux pour beaucoup dans la réussite de ce film dont le sujet peut rebuter. Est-ce son âge ? Après Madres paralelas, filmé en 2021, voici un nouveau film dont le thème principal est le deuil, la maladie, la douleur. Pourtant, comme à son habitude, Pedro Almodovar sait mélanger les styles pour alléger son propos et nous attacher à son récit.
C’est ainsi que le film est divisé en en deux parties.
La première se passe à New-York, dans ce microcosme littéraire confortable propice aux débats et aux joutes verbales. On y fait appel à Virginia Woolf, William Faulkner, Ernest Hemingway ou même la peintre Dora Carington qui avant de se suicider, déclarait que « la survie est presque décevante ». Elles y évoquent les choix de vie, la guerre, l’amitié, les relations mère-fille. Même si la maladie est sous-jacente et qu’Ingrid ne supporte pas le thème de la mort, cette partie est pleine d’humanité et d’amour avec cette question qui lie les deux héroïnes : Jusqu’où irais-je par amitié ?
Dans la deuxième partie, Ingrid et Martha se rendent dans la splendide maison qu’a loué Martha en pleine forêt, près de Woodstock. La règle est simple : lorsque Martha aura décidé de passer à l’acte, elle fermera la porte de sa chambre et Ingrid saura. Cette règle donne le titre au film mais rappelle aussi un poème souvent lu à des obsèques écrit par le Chanoine Henri Scott Holland (1847-1918) : « La mort n’est rien. Je suis simplement passé dans la pièce à côté. Je suis moi. Tu es toi. »
Pedro Almodovar se dit athée mais sa vision du passage est pourtant pleine d’espérance. Comme à son habitude, la couleur reste omniprésente avec des éclats de rouge, bleu, jaune, comme pour contrebalancer un sujet qui pourrait être morbide. Grâce à son directeur de la photographie, Edu Grau, certaines scènes ressemblent à des peintures de Hooper, nimbées de lumière, et chaque couleur cache un code : le rouge de la porte et du transat de Martha sont associés à la mort, le vert à la maladie, le jaune à la renaissance. Cette deuxième partie est donc plus intense, tendue vers la décision finale de Martha à la manière d’un thriller.
L’euthanasie a été légalisée en Espagne en 2021 mais reste débattue aux Etats-Unis. Ingrid risque donc gros en accompagnant Martha pendant ces derniers jours. Entre elles, une atmosphère parfois pesante, nimbée de poésie face à ce splendide paysage de forêt et entrecoupée de rires avec le visionnage du film de Charlie Chaplin. Pedro Almodovar fait également référence à l’oeuvre plus mélancolique de James Joyce « Gens de Dublin » en utilisant les dernières phrases comme dédicace.
Quelle serait celle de Pedro Almodovar ? Qu’il n’est jamais trop tard pour se réconcilier, que l’art sous toutes ses formes (poésie, livres, films, tableaux) et la nature gardent un pouvoir salvateur. Il faut donc protéger ce qui peut l’être sans sombrer dans des propos pessimistes à l’image de l’amant (John Turturro) et de son discours eschatologique.
Un très beau film qui a été présenté en compétition à la 81ème Mostra de Venise et a reçu un Lion d’Or mérité.
Virginie Hours, reporter pour Color My Geneva – tous droits réservés