Désir (ou Sex en VO):
Lors de la pause-café, un ramoneur (Thorbjørn Harr) raconte à son compagnon (Jan Gunnar Røise) un rêve qui le hante : lors d’une soirée, David Bowie entre dans la pièce et le regarde comme s’il était lui-même une femme… Enhardi, son camarade lui avoue alors avoir eu une relation avec un client alors qu’il pense être très heureux avec son épouse. Ces deux aveux les interpellent chacun et va modifier les relations avec leur entourage.
Beaucoup de bavardage dans cet opus mais on ne s’en lasse pas ! Face à la caméra, les deux compères se racontent avec un mélange de sincérité et de pudeur. Nous partageons leurs réflexions et leurs doutes mais aussi ceux de leur entourage. Jusqu’où faut-il aller dans ses envies ? Que signifie tromper l’autre ? « Ressentir du désir ne veut pas dire y répondre » explique un des protagonistes. Le fils, lui, est fasciné par sa copine qui a une chaine youtube sur laquelle elle met des informations inconsistantes, l’autre chante dans une chorale chrétienne… Bienvenu dans une ville où les ramoneurs ne se salissent pas mais où chacun cherche son équilibre entre la liberté et le désir.
Le film a reçu l’Ours d’or du meilleur film au Festival de Berlin 2025.
Désir (ou Sexe) en salles le 30 juillet,
Rêves :
Johanne (Ella Øverbye), jeune adolescente qui grandit entre sa mère et sa grand-mère, ressent des sentiments qu’elle ne comprend pas : serait-elle en train de tomber amoureuse de son enseignante (Selome Emnetu) fan de tricot et de pull bien chaud ? Pour ne rien oublier, elle décide d’écrire cette histoire dans un cahier. Quelque temps plus tard, elle montre ses écrits à sa grand-mère (Anne-Marit Jacobsen) qui ne réagit pas comme elle le pensait.
Cette fois-ci, le réalisateur norvégien nous plonge dans cette période des premiers émois, des premières fois, des doutes et des pleurs. Johanne choisit de cacher ses sentiments à son entourage et de tout confier dans un cahier. Lorsque sa mère et sa grand-mère finissent par lire son histoire, elles sont troublées par les faits mais aussi touchées par le processus littéraire. Johanne n’a-t-elle pas le potentiel d’une grande écrivaine ? A haute voix, Johanne se confesse avec candeur et sincérité. Face à elle, sa mère et sa grand-mère se questionnent sur l’attitude à avoir, les regrets que leur ont laissé la vie, la fin du désir pour l’une d’elle. C’est beau et drôle à la fois. Une porte se ferme, une autre s’ouvre.
Rêves en salles le 6 août
Amour :
Marianne (Andrea Bræin Hovig ) est médecin urologue dans un hôpital à Oslo. Elle travaille régulièrement avec Tor (Tayo Cittadella Jacobsen), un infirmier qui ne cache pas son homosexualité. Un jour, ils se retrouvent tous les deux sur le ferry qui les transporte entre Oslo et l’île de Nesodden. Marianne, heureuse célibataire, se questionne sur l’opportunité d’une nouvelle relation ; Tor, ouvert à toutes les rencontres, est sensible aux faiblesses de chacun. Tous deux sont abonnés à Tinder (« un vrai bordel mais c’est gratos ») mais est-ce suffisant ?
Au rythme des aller-retours du ferry et des rencontres improbables, Marianne et Tor assument leur choix de vie tout en aspirant à autre chose. « Tu es qui si personne ne te désire ? Rien » déclare Tor avec sa lucidité habituelle. Rien n’est triste ou nostalgique, mais peut-être faut-il oser se bousculer pour avancer. Peu à peu, une compréhension intime les lie bien au-delà de leurs relations professionnelles.
Andrea Bræin Hovig a obtenu le prix de la meilleure actrice au Festival du Film de Göteborg en 2025.
Amour en salles le 13 août.
La Trilogie d’Oslo : Désir, Rêves, Amour de Dag Johan Haugerud.
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On se souvient de la trilogie Bleu, Blanc, Rouge, du réalisateur polonais Krzysztof Kieślowski en 1993-1994. Cette fois-ci, nous sommes invités à découvrir le monde d’Oslo à travers trois films du réalisateur Dag Johan Haugerud. Parfois considéré comme le Rohmer norvégien, il dépeint les sentiments feutrés à travers des histoires pleines de délicatesse et de grande pudeur sous des allures délurées. Les dialogues sont étonnants de sincérité, face à la caméra ou le temps d’une traversée de ferry. Intitulés Désir, Rêves et Amour, à la fois liés et indépendants, ces trois récits nous transportent dans l’intimité de personnages aussi différents qu’une adolescente, un infirmier homosexuel ou un quadragénaire hanté par une aventure sans lendemain. On y parle beaucoup de sexe… mais on en voit peu. C’est l’amour et les sentiments qui priment.
La place de la ville d’Oslo
« La ville a besoin de toi » rappelle Marianne à son amie Heidi qui souhaite démissionner de son poste à la municipalité. Oslo est un personnage à part entière dans cette trilogie. Dag Johan Haugerud filme la capitale comme elle est, mélange de hauts buildings sans âme, de vieilles pierres et de quais. Elle apparait subrepticement, depuis les toits ou les larges fenêtres des appartements, ou encore à vélo ou à pied, illuminée par les lumières du quai lorsque le ferry accoste ou par les réverbères des rues qu’emprunte Johanne. Notre prochaine destination de week-end ?
La place de la littérature
L’autre fil rouge qui lie les trois récits est la place laissée à la littérature. Ce n’est sans doute pas un hasard puisque le réalisateur lui-m’ême écrivain a une formation universitaire de bibliothécaire ! Le film le plus marqué est Rêves puisqu’il commence par la découverte du livre « L’esprit de famille » de la française Jeanine Boissard. En lisant la rencontre de Pauline avec un homme plus âgé, Johanne ressent ses premiers émois physiques. Elle est prête à s’ouvrir au monde et aux sentiments. A travers les états d’âme de Johanne, on assiste alors à un processus de création littéraire à la Annie Ernaux. Avec un langage simple et direct, elle dépeint avec lucidité son expérience personnelle qu’elle couche ensuite sur les feuilles de son carnet. « Ce qui est écrit dans les livres n’est pas toujours vrai » tente de se rassurer la mère face à la grand-mère qui, écrivaine confirmée, pense tout de suite à la valeur artistique de l’écrit. Dans Amour, Marianne conseille à son futur amant un livre d’Etty Hillesun. Dans Désir, la professeure de chant offre un livre de Hannah Arendt “puisqu’elle l’a déjà lu”…
La place du désir et de la liberté
Le réalisateur ne souhaite pas enfermer ses personnages dans des cases. Ainsi Johanne ne souhaite pas être cataloguée de queer simplement parce qu’elle est tombée amoureuse de son professeur. Le film Amour se termine également sur un hymne à la liberté lorsque le psychologue Björn peut enfin sentir librement la joie d’être aimé et d’aimer sans sentiment de culpabilité. « Tu as raison, il faut moins s’écouter » se moque Tor. D’ailleurs, Marianne se libère d’une enfance douloureuse entre des parents divorcés en acceptant une histoire avec un homme déjà papa. Et le livre de Hannah Arendt donné par la professeure de chant dans Désir, apparait être un formidable moyen de se libérer de ses angoisses et d’être pleinement soi-même… « Elle a beaucoup écrit sur la Liberté. Sur ce qu’est la Liberté et comment y parvenir » explique-t-elle. Chacun de ces films nous raconte un chemin personnel pour y arriver.
Une trilogie attachante et déroutante à la fois. En tous cas, à ne pas manquer.
Virginie Hours, reporter pour Color M Geneva – tous droits réservés