Le Jury RTL-Lire a couronné ce roman intense qui donne chair et existence à des victimes des déportations lors de la deuxième guerre mondiale et à leurs descendants. Gaëlle Nohant a trouvé l’équilibre parfait entre le romanesque et la grande Histoire sans dénaturer cette dernière. Il ne s’agit pas d’un ouvrage de plus sur les effroyables horreurs de la guerre, mais d’une histoire incarnée qui met la lumière sur l’ampleur du travail méconnu du centre de documentation relatif aux persécutions nazies (International Tracing Service). Le lecteur suit avec conviction les enquêtes d’Irène la documentaliste qui cherche à restituer aux descendants les objets ayant appartenu aux disparus des camps de concentration. « Quelquefois, en cherchant les morts, on trouve des vivants ».
Une œuvre magistrale qui unit les trajectoires individuelles à la mémoire collective de l’Europe…Une ode à la vie malgré les drames et les horreurs.
Gaëlle Nohant
La romancière diplômée des études de Lettres vit actuellement à Lyon. Elle a publié quatre romans dont notamment La part des flammes (éditions Héloïse d’Ormesson 2015 ; prix France Bleu/Page des libraires et prix Livre de Poche), un roman biographique sur Robert Desnos, La légende d’un dormeur éveillé (éditions Héloïse d’Ormesson 2017 ; Prix des libraires), et La femme révélée (Grasset 2020 ; Prix du LÀC).
Ce nouveau roman Le bureau d’éclaircissement des destins (éditions Grasset 2023) permet une nouvelle fois à la romancière d’exprimer tout son talent grâce à un travail documentaire titanesque, ainsi qu’à une écriture sobre et fluide.
L’histoire
En 1990 au cœur de l’Allemagne, Irène, qui élève seule son fils depuis son divorce, trouve un emploi au centre de documentation à International Tracing Service. Elle se découvre une vocation pour le travail d’investigation. A l’automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d’objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé… Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre des contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l’Argentine. Malgré le caractère fictif des personnages, on a l’impression qu’ils ont existé. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets chargés de drames ?
Un extrait
« Irène inventorie les enveloppes rangées dans de grands placards métalliques, en ouvre certaines, les referme. Chacune porte une cote, un descriptif sommaire. Près de trois mille objets reposent ici, à l’abri de la lumière. On manipule avec précaution après avoir enfilé des gants.
Ils sont vieux, usés. Ce sont des cadrans de montre voilés dont les aiguilles se sont figées un matin de 1942. Ou peut-être un après-midi pluvieux du printemps suivant, ou par une nuit froide de l’hiver 1944. Elles indiquent l’heure où elles se sont arrêtées, comme un cœur cesse de battre. Ce qu’elles représentaient pour leurs possesseurs – la maîtrise de son temps et de sa vie – avait perdu toute signification. Dans d’autres boîtes, des portefeuilles vides. Sur la page d’un agenda, quelques mots dans une langue étrangère qui résonnaient peut-être, ce jour-là, avec l’urgence de vivre et l’angoisse. Irène peut se les faire traduire, mais personne ne saura lui dire la nécessité, pour celui qu’on a déshabillé à l’entrée dans le camp. Des alliances nues, qui n’avaient pas quitté l’annulaire d’un mari, ou d’une femme depuis le jour des noces. Des chevalières gravées. Des bijoux de pacotille à la coquetterie démodée…Ce sont des objets sans valeur marchande. Les biens monnayables étaient dérobés sans retour. Ce sont les restes méprisés par les assassins, dont la modestie trahit celle de leurs propriétaires. Au moment de partir pour ce long voyage vers l’inconnu, ils ont emporté du précieux qui ne pèse pas. Leurs papiers d’identité, quelques talismans sentimentaux. Souvenirs d’une vie qu’ils espéraient retrouver intacte après l’arrestation, le cachot, les tortures, le wagon plombé.”
Le bureau d’éclaircissement des destins de Gaëlle Nohant (éditions Grasset)
Sandrine Bourgeois journaliste pour Color my Geneva (tous droits réservés).