Culture, Loisirs

« A Forgotten Man » sur grand écran, la Suisse face à son passé

Dans son nouveau film « A forgotten man », le réalisateur genevois Laurent Nègre nous invite à nous pencher sur l’histoire helvétique et sa politique controversée pendant la seconde guerre mondiale.

Heinrich Zwygart a été ambassadeur de Suisse en Allemagne depuis la montée du nazisme. Il pense avoir servi au mieux son pays et notamment ses industriels. Au printemps 1945 alors que Berlin est bombardée, il brûle les documents compromettants avant de s’enfuir et de retrouver sa famille à Berne. Il sait qu’il se trouve dans une position délicate mais compte bien sur l’aide du conseil fédéral pour s’assurer un avenir. N’a-t-il pas toujours bien défendu les intérêts de la Suisse ?

A Forgotten Man de Laurent Nègre

avec Michael Neuenschwander, Manuela Biedermann

Sortie en Suisse romande : 3 mai

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Que penser de la politique menée par la confédération de 1938 à 1945, vis-à-vis du pouvoir nazi ?

Depuis plusieurs années, la réflexion est lancée. Avec son nouveau film, tourné 8 ans après Confusion , le réalisateur genevois Laurent Nègre fait entendre sa voix sur ce sujet trouble et complexe. Pour réaliser A Forgotten Man, il s’est inspiré de la pièce L’ambassadeur de Thomas Hürlimann qui y transforme Hans Frölicher, le vrai ambassadeur en poste à Berlin de 1938 à 1945, en un Heinrich Zwygart désemparé. Utilisant ainsi la liberté que lui donne la fiction, il nous offre une réflexion pertinente et non manichéenne sur cette période de l’histoire. « Savez-vous ce que disent les allemands des suisses », raconte ainsi avec cynisme Heinrich Zwygart joué par l’acteur bernois Michael Neuenschwander ? « Ils travaillent les six premiers jours de la semaine pour Hitler et le 7ème jour, ils prient pour la victoire des alliés ». La galerie des personnages qui tournent autour de Zwygart symbolise ainsi la complexité des acteurs de l’époque, de l’industriel enrichi, au nostalgique du nazisme en passant par l’étudiant idéaliste à la recherche de la vérité. Nous assistons aussi ä l’affrontement entre deux visions de la victoire : le pays a-t-il été préservé grâce son armée, incarnée par la figure du général Guisan que vénère le père d’Heinrich Zwygart ou grâce au jeu diplomatique, moins glorieux mais peut-être plus efficace que représente le bernois ?

L’autre question sous-jascente est la suivante : celui-ci a-t-il été trop loin dans l’exercice de son mandat ? A-t-il trop bien servi la Suisse alors que les allemands étaient tout puissants ? A présent, la Suisse aspire à être accueilli à la table des négociations du côté des vainqueurs. Elle doit être perçue comme un Etat « indépendant, démocratique et humanitaire ».  Dans cette perspective, Heinrich Zwygart gêne… L’utilisation du noir et blanc reflète le trouble de cette époque et les états d’âme de celui qui refuse de payer pour les autres.

Car plane dans le film l’ombre de Maurice Bavaud, étudiant neuchâtelois de 22 ans qui a manqué de tuer Hitler en 1938, a été arrêté et a été décapité par les nazis en 1941 après 3 ans de captivité. Qui s’en souvient aujourd’hui ? L’autre mérite de ce film est de le réhabiliter. « Fanatique psychopathe » pour les uns, « héros » pour les autres, sa personnalité et ses motivations ont divisé et suscité de nombreuses controverses. Le 7 novembre 2008, la confédération tranche et son président Pascal Couchepin, tient une allocution à sa mémoire et annonce sa réhabilitation symbolique (il n’a jamais été condamné par la justice helvétique). «Avec le recul, on peut dire aujourd’hui que les autorités suisses de l’époque, qui avaient renoncé à intervenir auprès des autorités allemandes, ne se sont pas suffisamment engagées en faveur du condamné», reconnait Pascal Couchepin dans son allocution. En effet, l’ambassade de Suisse à Berlin n’a jamais visité le condamné, ni ne l’a aidé considérant que par sa tentative, celui-ci avait mis en danger les intérêts du pays. Il fut même refusé de l’échanger contre un espion allemand.

A Forgotten Man met ainsi l’éclairage sur tous ceux qui font l’histoire, connus ou anonymes… et les répercussions de leurs actes encore aujourd’hui.

Un film salutaire et pertinent.

Virginie Hours, reporter pour Color My Geneva – tous droits réservés

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