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« Le garçon et le héron » sur grand écran, un film à la hauteur du maître Miyazaki

Avec « Le garçon et le héron », le grand réalisateur japonais nous transporte de nouveau dans son univers si particulier.

Durant la seconde guerre mondiale, la ville de Tokyo est bombardée. La mère de Mahito, un jeune garçon d’une dizaine d’années, décède dans l’incendie de l’hôpital où elle travaillait. Peu de temps après, le père de Mahito décide de partir à la campagne et d’y retrouver la jeune femme qu’il vient d’épouser. Dès son arrivée, Mahito est perturbé par un héron qui lui promet de l’aider à retrouver sa mère…

Le Garçon et le Héron 

de Hayao Miyazaki

Date de sortie : 1er novembre 2023

 ****

Un film testament ?

Hayao Miyazaki a 82 ans. Dix ans après Le vent se lève, il nous offre un (dernier ?) film magnifique et torturé à la fois. L’histoire semble tirée de sa propre expérience puisque son père, comme celui de Mahito, profite de la guerre en fabriquant des pièces destinées aux avions de l’armée japonaise (les éléments des « Zero », chasseurs japonais très efficaces et sujets de son film précédent Le jour se lève ) et que sa mère, souffrant de tuberculose, fut soignée jusqu’à sa mort comme un écho à la belle-mère alitée de Mahito. Il est aussi question de responsabilité et de transmission entre les générations, sujet auquel est confronté actuellement le studio Ghibli. Le grand-oncle porte le poids du monde, non comme Atlas sur ses épaules, mais en jouant avec des figures géométriques qu’il peine à rendre stables…

L’histoire est doublement inspirée, en premier lieu d’un récit d’apprentissage célèbre au Japon de 1937 intitulé Et vous, comment vivrez-vous ?, que Miyazaki a lu enfant, et surtout du roman Le livre des choses perdues de John Connolly, histoire d’un jeune garçon de 12 ans qui essaie d’oublier le remariage de son père en se réfugiant dans les livres. C’est donc un film à tiroir et à différents niveaux de lecture.

Une autre image du deuil

Comme à son habitude, les thèmes traités sont difficiles. Cette fois-ci, il est question notamment du deuil. C’est ainsi que Miyazaki fait référence à des figures mythologiques comme Orphée qui descend aux enfers rechercher Eurydice et à qui on intime l’ordre de ne pas se retourner sous peine de la perdre à jamais. Dans ce film, Mahito est accompagné par un héron, symbole au Japon du voyage de l’âme humaine après la mort. Tel un Hadès, il l’accompagne dans son voyage. Mahito rencontre aussi une jeune femme qui lui fait passer la mer, tel le Styx, et l’héberge chez elle en attendant qu’il reparte. La symbolique de la porte est aussi omniprésente, ouverture sur un monde parallèle et inconnu dont il faut se méfier comme dans Suzume de Makoto Shinkai. Mahito fait un va et vient entre ces deux univers, avec le risque de nous perdre parfois.

La complexité de la nature humaine

Miyazaki étant un pacifiste convaincu, la première scène rappelle la fragilité de la vie humaine et la stupidité de la guerre. Les personnages fuient alors la ville pour se réfugier à la campagne, le retour à la nature étant un thème cher à Miyazaki. Là-bas, le père retrouve ses habitudes et Mahito est sommé de reprendre rapidement une vie normale et de retourner étudier.  Comme un écho à la complexité de notre monde contemporain, les personnages ont leur défaut et leur part de lumière et de détresse. Mahito se blesse volontairement pour ne plus devoir aller à l’école, son père profite de la guerre pour faire des affaires et se remarie très vite (trop vite pour Mahito peut-être) après le décès de sa première femme, le héron hésite entre vérité et mensonge. Comme un contrepoids, Miyazaki nous émerveille avec sa vision de la nature, la précision des traits et la justesse des détails (les traces de pas dans la terre humide, le vent soufflant sur la surface de l’eau…). Mais il n’édulcore pas sa dure réalité à l’exemple des perruches cherchant à tuer pour se nourrir. A son habitude, la musique avec notamment les variations légères au piano sont du compositeur japonais Joe Hisaishi avec qui le studio Ghibli a souvent collaboré.

Même si c’est un film « animé », il faut rappeler que celui-ci n’est accessible qu’à partir de 12 ans. Les thèmes abordés sont souvent plus difficiles que ce que pensent les parents, comme l’a si bien illustré Le tombeau des Lucioles d’Isao Takahata.

Ceux qui ne sont pas habitués à l’univers de Miyazaki, risquent de se perdre dans les méandres de l’histoire. Mais visuellement, ce film reste magistral et saura les séduire. Les habitués retrouveront son monde si particulier et se laisseront transporter avec toujours autant de plaisir.

Virginie Hours, reporter pour Color My Geneva – tous droits réservés

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