Dans la vie, Baptiste (Salif Cissé) a deux univers : la journée, il essaie de vendre des assurances pour chien par téléphone, le soir il présente un one man show dans un petit théâtre parisien. Le succès se fait attendre. Un jour, il est approché par un célèbre romancier nommé Pierre Chozène (Denis Podalydès). Celui-ci ne parvient pas à écrire son nouveau roman car il est trop accroc à son… téléphone portable ! Son idée ? Que Baptiste utilise ses talents d’imitateur pour devenir son répondeur et gérer ses appels à sa place, lui laissant ainsi la sérénité dont il a besoin. Après quelques hésitations, Baptiste accepte… et va se prendre au jeu.
Le Répondeur de Fabienne Godet
Avec Salif Cissé, Denis Podalydès, Clara Bretheau et Aure Atika
Date de sortie : 4 juin 2025
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Ce film très astucieux est directement inspiré du livre éponyme de Luc Blanvillain. Séduite par l’idée qu’une rencontre peut changer une vie, la réalisatrice Fabienne Godet s’est amusée à croiser l’existence de Baptiste qui cherche la célébrité avec celle de Chozène qui la fuit. En entrant dans la vie de l’écrivain adulé grâce à ses nombreuses petites fiches, Baptiste prend conscience de l’envers du décor : les sollicitations incessantes, la pression de l’éditeur, les demandes intéressées… Avant de devenir réalisatrice, Fabienne Godet s’est formée à la psychosociologie et a travaillé dix ans en hôpital. Elle aime l’humain avec ses petits travers et ses contradictions et ça se voit. Avec plaisir, elle brocarde le petit monde parisien de l’édition, ses coteries, ses injonctions. Chozène a ainsi perdu sa liberté de créer mais aussi celle de prendre le temps, de savourer pleinement les relations. Il doit « délivrer » mais ne sait plus comment. Face à lui, Baptiste promène sa lourdeur et sa gentillesse, en donnant l’impression de subir. On pense un peu au film Intouchable pour cette rencontre improbable entre deux univers opposés et ce partage d’expérience. Car à sa manière, Baptiste va agir avec cœur et sagesse, bousculant pour le meilleur une vie finalement imparfaite. De son côté, Chozène donne à Baptiste l’opportunité de sortir de sa zone de confort et de modifier le cours de son destin.
Avec subtilité, le film dénonce aussi la relation malsaine que l’on peut entretenir avec son téléphone. Chozène aimerait l’éteindre mais il le reconnait : il en est incapable. Lui aussi se précipite sur l’appareil à la moindre vibration. Son seul moyen de s’en détacher vraiment est de ne plus l’avoir avec lui. Solution radicale mais efficace. En serions-nous capables ? Le revers de la médaille apparaît rapidement : c’est Baptiste qui y est enchaîné…
L’autre atout de ce film est de nous faire découvrir l’art si particulier de l’imitation. Baptiste est un personnage sans relief, neutre, jusqu’au moment où il se glisse dans la peau d’un autre et commence à l’imiter. Alors, il s’anime et s’incarne. Physiquement, on le voit changer de posture car l’imitation est aussi une question de geste. Salif Cissé incarne parfaitement cette bascule, avec une posture « signature » qui laisse à penser que c’est lui-même l’imitateur… En réalité, il s’agit de Michaël Gregorio qui a beaucoup participé au film. Le résultat est épatant avec cette sensation de fluidité déconcertante. Le phrasé si particulier de Denis Podalydès devient un personnage en soi.
La galerie de personnages (la fille, le critique littéraire, le patron de théâtre, la bonne copine) est variée sans trop tomber dans la caricature, mention spéciale pour Aure Atika qui rayonne et rend Chozène à lui-même. Salif Cissé porte avec brio le film sur ses épaules face à un Denis Podalydès plein de lâcheté et de courage à la fois.
Un excellent moment pour un film plus subtil qu’il pourrait paraître.
« Le répondeur » a été récompensé du Prix du public au Festival de Comédie de l’Alpe d’Huez 2025.
Virginie Hours, reporter pour Color My Geneva – tous droits réservés