En ayant toujours comme base le dessin, cette fascinante artiste genevoise développe son langage à la saveur de ses propres vents, en alliant philosophie, psychologie, réseaux sociaux et nouveaux médias. Après avoir intégré l’écal (école cantonale d’art de Lausanne) en section arts visuels, puis l’école de théâtre Serge Martin, Cerise multiplie les collaborations artistiques, crée en 2016 sa compagnie – La Société du Spectacle – et nous invite à partir avec elle dans un voyage bariolé à la découverte du corps comme instrument d’écriture artistique.
Le corps est toujours au centre de vos démarches artistiques. Comment l’art peut augmenter et enrichir notre vocabulaire corporel, notre manière d’habiter le monde ?
Par exemple, aujourd’hui, c’est tout frais et parallèlement à mon travail sur le langage par le corps, je redessine « l’origine du monde « de Courbet à partir d’une photo polaroïd de mon propre corps que je redessine trois fois en grandeur nature au crayon de couleur. J’y suis ma propre muse pour déjouer le rapport artiste masculin-sujet féminin et je la mets en mouvement actif plutôt que la garder dans sa position passive exprimée dans ce tableau de 1866. Dans la répétition, c’est la main, le corps donc qui donnera les infimes différences qui créeront des vibrations, du mouvement. Car je dessine trois fois le même tableau avec exactement le même processus.
Vous avez inventé votre propre alphabet suite à une proposition du Centre d’Art Contemporain de Genève. Pour quelle raison l’avez-vous intitulé DURCH?
DURCH veut dire par, à travers en allemand, la langue des émotions, des sensations (leurs termes philosophiques relatent plus finement le gefühl) car c’est à travers le corps en entier, par son centre le chi, la force vitale, que je considère comme le cerveau, aux attitudes et aux rythmes qu’il peut engendrer que peut se ré inventer le rapport au monde. À l’heure bien sûr du cul sur la chaise devant l’ordinateur, c’est très important. DURCH est un nouveau média de communication. Je développe la communication alternative où on fait l’économie de mots, on les creuse, on les choisit on les ressent avec DURCH, cet alphabet où chaque lettre est une position du corps et où une mécanique chorégraphique de liens entre ces positions s’actionne.
Votre compagnie se nomme La Société du Spectacle * Cie. artistique sans entrave. Quels seraient les entraves principales de notre société actuelle, selon vous ?
Se laisser aller à la peur, à la soumission par rapport à son employeur, l’obsession de ne pas avoir assez, la consommation excessive, le brain washing… On peut vivre avec peu et se sentir intensément riche, c’est l’attitude Dandy. Moi je suis plutôt Dandy-Punk, avec un point mis sur l’élégance qui est une chose très importante pour moi. C’est l’âme révélée au sensible, l’élégance, l’habit. Ne pas développer son identité et se laisser marcher dessus, c’est trop courant dans ce monde, on perd le caractère, le bagou, le personnage, c’est dommage.
Nous avons pu découvrir vos performances sur votre compte Instagram. Comment les réseaux sociaux s’insèrent-ils dans votre art, Cerise ?
Cela a été une nécessité d’y montrer mon travail, de partager son évolution et de grandir des commentaires des internautes qui ont tout de suite adhéré à cette bizarrerie lors des années covid où aucun lieu (à part les églises, j’y reviendrai) n’était disponible pour montrer son travail. J’aime énormément la vidéo et j’ai évolué avec ce média pour transmettre des messages en DURCH, mon alphabet, pour essayer des slogans, par exemple « Celui qui fait mourir la Culture ne peut pas faire grandir le monde ». Ensuite j’ai carrément expérimenté Instagram comme scène avec mon avant dernier travail (septembre 2021) DURCH THE CRISIS où le format carré Instagram est mis en abîme par une scénographie de cube où moi, l’instrument d’écriture (le cube est la page blanche, l’espace choisit dans fait toujours office de page blanche) donc le corps en tant que plume est enfermé dans le réseau social et tente de faire parvenir un message global au monde entier (car les posts étaient sponsorisés dans 9 pays autour du globe) avec la question : « Qu’y a-t-il de plus important à dire au monde ?».
Est-ce que vous pensez que l’art peut être un accélérateur de conscience ?
Je dois d’abord définir ce qu’est pour moi la conscience afin de vous répondre: Pour moi la conscience c’est être là, présent à la chose. Pour être là il faut être apaisé ou pris par quelque chose qui nous fait oublier les incessants bavardages du cerveau qui emprisonnent. Donc si l’œuvre nous prend, et si on se laisse la capacité d’y entrer (ce qui nous oblige à lâcher nos conceptions toutes faites des choses) on est en présence par rapport à la chose. Et si on a pu lâcher prise grâce à la chose, à l’art en l’occurrence, c’est que oui, l’art est un modificateur de conscience.
Pour revenir à L’Église et pour donner un exemple par rapport à mon travail, c’était le seul lieu qui était ouvert en confinement, du coup je me suis insérée dans un culte protestant et j’ai dansé la prière du Notre Père. Cela a donné une tout autre lecture que les injonctions assommantes que me laissait transparaître ce texte quand j’étais enfant et obligée d’aller à l’Église tous les dimanches. Le public, des fidèles en l’occurrence, ont été émus et ont pu se repositionner par rapport à cette prière qui est bien plus ouverte qu’elle ne le laisse penser. Cela je l’avais préalablement découvert par une version hébreuse de sa traduction et exégèse.
Quels sont vos futurs projets ?
Oui je vais enfin pouvoir y parvenir l’année prochaine si tout va bien. Je vais recruter des performers à qui je vais apprendre mon alphabet afin de pouvoir écrire des textes à plusieurs lettres. Là un fascinant spectre de recherche chorégraphico-graphico-humain va s’ouvrir : au-delà de la compréhension directe de ce langage par le spectateur, la métaphore vivante de faire société va s’écrire sous nos yeux. C’est Boris Charmatz d’ailleurs qui dit que la danse c’est ce qui nous permet de réfléchir à comment vivre ensemble…
Votre atelier et votre salle de répétition se trouvent au bord du Rhône, à Genève. Les paysages genevois (urbains ou naturels) sont-ils source d’inspiration pour vous ?
Oui je les adore. J’ai la vue sur le Rhône ce qui est une chance inestimable et je remercie la vie tous les jours pour cela, tout est mouvement et cela peut ne pas durer. J’ai refait très beau mon intérieur d’atelier récemment, très lumineux. Ce qui est beau me rend follement heureuse. Mais j’ai tout réalisé avec des matériaux récupérés ou donnés. Il faut bien ranger son bordel de création pour réutiliser, revaloriser. En plus, avec ces processus qui viennent enfin à la mode par nécessité écologique, l’âme des objets et des lieux est beaucoup plus présente que par l’achat de matériel neuf. L’âme c’est de l’identité.
J’aime énormément les graffitis dans la rue, j’exulte quand je vois des signatures de femmes dans ce monde misogyne, j’aime les dynamiques de quartier dont Genève a le secret, et la mixité des milieux et des lieux et bâtiments genevois, chics, alternos, nouveaux riches, multiculturels, dégenrés, féministes, sdf, vieux suisses, des femmes enfin dans des nouvelles dynamiques qui reconstruisent la société… À Genève on nous laisse faire des choses, c’est ce qui fait la ville.
Immergez-vous dans l’univers artistique et saisissant de Cerise Rossier. Laissez-vous porter par son alphabet dansant, et découvrez un nouvel incroyable talent genevois
Flávio D. – Reporter chez Color my Geneva – Tous droits réservés