Dans une petite ville de province, Jacques (Bernard Campan) tient une cave à vin. Son activité vivote. Pour alléger ses impôts, il accepte d’embaucher Steve (Mounir Amamra) un jeune en contrat aidé. Parallèlement, Hortense (Isabelle Carré) s’occupe de sa mère et organise des dîners en faveur d’un groupe de SDF dans sa paroisse. Un jour, ayant décidé de leur offrir une bonne bouteille, elle pousse la porte du magasin de Jacques…
La dégustation d’Ivan Calbérac
Avec Isabelle Carré, Bernard Campan et Mounir Amamra
Date de sortie en Suisse romande : 7 septembre 2022
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Voici une jolie comédie de rentrée que nous propose le réalisateur Ivan Calbérac. A la fois homme de cinéma et de théâtre, c’est la troisième fois que celui-ci adapte sur grand écran une de ses oeuvres : après la pièce L’étudiante et Monsieur Henri puis son roman Venise n’est pas en Italie, il s’agit de la pièce éponyme qui connut le succès en 2019 et fut honoré du Molière de la comédie. Pour ce film, il fait appel aux mêmes acteurs Isabelle carré et Bernard Campan ; on ne change pas une équipe qui gagne ! D’autant plus que ce sont ces derniers qui lui ont demandé de travailler l’adaptation, déçus que le Covid ait empêché la tournée en province…
L’histoire aurait pu être le pendant de la comédie romantique La boutique au coin de la rue d’Ernst Lubitsch, elle-même inspirée de la pièce hongroise de Milos Laszlos. Mais Ivan Caldérac a changé le décor et troque la librairie contre un caviste. Il privilégie ainsi la sensualité à des relations qui auraient été plus intellectuelles. Le réalisateur a posé ses caméras avec bonheur dans la ville de Troyes. Aussi, le film fleure bon le terroir et remet à l’honneur le charme des petites villes françaises. : jolies rues pavées, voisinage aimable, paysage de vigne… On y boit du vin en dégustant de la charcuterie tout en comptant fleurette à sa jolie voisine. Avec le personnage de Jacques, on redécouvre avec plaisir qu’un vin se dévoile et s’apprécie en utilisant ses cinq sens. A ce titre, la scène de la dégustation est particulièrement réjouissante tout comme la visite chez le vigneron. Car le vin joue son rôle de révélateur : comme il révèle le goût de certains mets lorsqu’ils sont bien associés, il donne peu à peu à chacun des protagonistes l’envie de vivre et de ressentir. Il devient ainsi un personnage à part entière du film.
Toutefois, le réalisateur a voulu aller plus loin en abordant des thèmes d’actualité comme le désir d’enfant quand on est une femme célibataire, l’alcoolisme dit « mondain », la difficulté du deuil ou l’insertion professionnelle des jeunes. Si la figure de Steve (prometteur Mounir Amamra) et ses déboires de jeune délinquant sont plus convenus, les autres sujets sont mieux traités et intéressants. Ils ont tous en commun la difficulté de créer du lien.
Isabelle Carré donne une profondeur à son personnage et campe une femme qui ne veut plus subir son destin. Bernard Campan est tout en rudesse, cachant sa douleur sous une carapace bien épaisse. A l’image de leur prestation dans le très beau film Se souvenir des belles choses de Zabou Breitman, leur complicité et le plaisir qu’ils ont d’être ensemble traversent l’écran pour notre plus grand bonheur.
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Votre film est l’adaptation cinématographique d’une pièce que vous avez écrite en 2018 et adaptée en 2019. Compte tenu de ce que nous avons vécu depuis (Covid, guerre en Ukraine, Canicule), est-ce que vous écririez aujourd’hui la même pièce ?
C’est une bonne question. Je ne me la suis jamais posée. C’est vrai que notre monde évolue très vite et nous n’avons aucune visibilité quant à l’avenir. Nous sommes dans un monde plus angoissant qu’il y a 4-5 ans. Nous avons vécu le Covid, la guerre, nous sentons les conséquences du réchauffement climatique. Peut-être que ce sentiment transparaitrait dans la pièce. En même temps, la légèreté qu’apporte l’histoire, malgré ses moments émouvants, fait du bien dans un monde comme aujourd’hui.
Votre film aborde de nombreux sujets comme la solitude, l’alcoolisme, la PMA… Pourquoi avoir choisi ces thèmes à l’époque ?
Il n’y avait pas de volonté d’aborder certains thèmes particulièrement. Les histoires me viennent tout simplement. En revanche, je souhaitais faire une pièce actuelle. C’est pourquoi j’aborde les thèmes des SDF et de la PMA. Mais c’est avant tout une histoire d’amour et l’amour est un thème éternel. La pièce parle aussi des liens. A cause du Covid, beaucoup de liens ont été altérés et se pose la question de la manière dont on peut les restaurer. Pour moi, ce sujet reste actuel.
Quelles ont été vos références ? La première partie de l’histoire rappelle la comédie « La boutique au coin de la rue »…
C’est exact. Je suis un fan de cinéma, de Capra, de Billy Wilder. J’ai grandi avec eux. La comédie américaine reste fantastique. Le film « La boutique au coin de la rue » est une vraie référence pour l’humour, la comédie, l’univers dramatique ; c’est aussi un hommage aux commerçants qui créent du lien dans leur centre-ville. En définitive, peu de films se passent dans un commerce et encore moins chez un caviste.
Pourquoi choisir de tourner un film dans une cave à vin ?
L’idée est venue suite à une dégustation… Le vin est sensuel ; il permet à la rencontre de se faire aussi d’une manière sensuelle. Si l’histoire s’était passée chez un libraire, tout aurait été plus intellectuel même si on peut s’énivrer de littérature, comme disait Baudelaire. L’ivresse est plus spectaculaire et drôle dans une comédie. Le vin me permettait ainsi de mettre mes personnages en conflit immédiat par rapport à leur environnement. Par exemple, Jacques boit trop, il est entouré de bouteilles alors qu’il doit se sevrer. Hortense a un désir d’enfants alors qu’elle est sage-femme et aide les femmes à accoucher. Enfin visuellement, le vin est intéressant à filmer, toutes les couleurs sont magnifiques.
Au départ, c’était une pièce de théâtre. Pourquoi cette envie de passer du théâtre au film ?
Les comédiens voulaient faire le film pour garder une trace de cette histoire. La pièce a eu beaucoup de succès mais elle est restée parisienne car nous n’avons pas pu faire de tournée en province à cause du Covid. Là, le film reste et on peut le revoir dix, vingt ans plus tard. C’est un moyen aussi de porter l’histoire en France et au-delà de la France. C’est notre lot de consolation, notre petite revanche sur l’épidémie.
J’aime autant le cinéma que le théâtre. J’aime mes histoires et j’ai envie de les décliner. Il y a un plaisir assez fort à les imaginer sous une forme, puis sous une autre forme. J’adore filmer et créer des images. C’est assez jubilatoire pour moi. Il y a toujours des choses qui manquent, des éléments qui sont modifiés. Ce n’est pas le même univers fictionnel. Certains éléments fonctionnent au théâtre, d’autres au cinéma. Ainsi, comme je ne souhaitais pas être dans une unité de lieux pour le film, j’ai changé de point de vue. Dans la pièce, on entrait dans l’histoire par Jacques ; dans le film, on entre par Hortense.
Vous avez plusieurs casquettes dont celle de comédien. Avez-vous parfois envie de revenir vous-même sur les planches ?
J’y pense de temps en temps surtout pour le théâtre mais j’ai peur de ne pas être assez bon… Je viens de monter une pièce sur le grand pianiste canadien Glenn Gould ; il manquait un petit rôle et je me suis dit « pourquoi pas » … Et puis j’ai renoncé car techniquement ce n’était pas possible, entre la tournée de promotion du film et la pièce qui va être jouée tout cet automne à Paris. Et puis, j’ai trop d’histoires en tête, trop d’envie de monter des pièces…
Virginie Hours – Reporter pour Color My Geneva, tous droits réservés