Culture

A la rencontre de Livia Vonaesch, réalisatrice du documentaire étonnant “Home is the Ocean”

Rencontre avec Livia Vonaesch, la réalisatrice du documentaire « Home is the Ocean ». « J’étais intriguée par la question de savoir comment se passaient les relations au sein d’un espace si fermé ».

Livia Vonaesch est née en 1985 en Suisse alémanique. Elle a étudié la sociologie et la communication à l’université de Postdam et de Lucerne avant d’être diplômée de l’école de journalisme à Zofingen dans le canton d’Aargau. Elle a suivi pendant. 7 ans la famille Schwörer qui navigue depuis 25 ans sur les océans pour alerter sur le réchauffement climatique et les dangers du micro-plastique. Home is the Ocean est son premier long documentaire.

Rencontre.

Quelle est votre relation personnelle avec l’Océan ?

J’ai toujours été attirée par l’Océan. J’ai même toujours su que je naviguerai un jour, et ce, avant même d’avoir commencé le tournage du film. J’ai appris à naviguer avec la famille Schwörer et j’ai pris ensuite des cours supplémentaires en parallèle car je souhaitais être utile et engagée. J’ai donc assumé des quarts de nuit seule quand j’étais sur le bateau avec eux mais il faut être conscient que Dario le père est toujours proche, attentif à ce qui se passe. Je pouvais ainsi pleinement prendre ma part mais sans crainte.

 

Comment avez-vous rencontré la famille Schwörer?

Dario et Sabine ont toujours eu le souci que leurs enfants fassent des études et ont toujours su qu’ils feraient leurs études en Suisse. L’éducation des enfants est très importante pour eux. Quand ils peuvent, ils ont un professeur avec eux à bord. J’ai rencontré lors d’un dîner une amie d’amie qui avait été un de ces professeurs. Elle m’a partagé beaucoup d’histoires sur eux. J’ai fait des études de sociologie et j’ai été intéressée par leur choix. Je n’ai pas eu envie de questionner leurs décisions mais plutôt de faire un film « observatoire » et de montrer ce qu’est leur vie.

J’étais aussi intriguée par la question de savoir comment se passaient les relations au sein d’un espace si fermé. J’étais aussi interpelée par leur sentiment d’être plus en sécurité sur un bateau qu’en ville. C’est pour toutes ces raisons que je les ai contactés.

 

Comment expliquez-vous que des suisses deviennent ainsi des marins ?

Dario travaillait comme guide de haute montagne il y a 25 ans et constatait déjà les effets du changement climatique. Sabine et lui se sont alors rendus dans chaque canton pour en parler et essayer d’éveiller les consciences. Puis, ils ont décidé d’aller hors des frontières et d’agir en partant de l’Océan.  Pour eux, naviguer était le seul moyen de voyager sans utiliser ni la voiture, ni l’avion. Par ailleurs, ils sont tous les deux très sportifs et savent grimper, marcher, faire du vélo. D’une certaine manière, Ils restent très suisses car ils sont très attachés à la montagne.

 

Quel était votre objectif en commençant le tournage du film et est-ce qu’il a évolué durant les 7 années qui ont été nécessaires pour le faire ?

En fait, j’avais juste beaucoup de questions en tête : qu’est-ce que cela signifie de vivre et d’élever des enfants dans ces conditions ? Et qu’est-ce que cela signifie pour les enfants eux-mêmes ? Lorsque je les ai mieux connus, j’ai su que je mettrais l’accent sur les enfants car je sentais déjà des différences entre eux concernant leurs questions, leurs besoins. Il y a des défis visibles et des défis cachés et je voulais que chacun d’entre nous, comme spectateur, puisse entrer dans leur monde, faire partie du système. Quand je les filmais, je ne voulais pas montrer uniquement l’aspect « super héros » mais aussi les nuances qui existaient dans leur vie. Je ne voulais pas donner de réponses mais laisser à chacun la latitude, le temps, de se faire sa propre opinion sur ce qu’ils vivent. Chacun d’entre nous va réagir différemment par rapport à ses propres repères, sa propre origine. Le sujet du film n’a pas vraiment changé en 7 ans. Mais en 7 ans, j’ai moi-même changé. J’ai vécu de nombreuses situations que j’aurais pensé ne jamais vivre. Par exemple, je me suis sentie connectée avec la nature, l’Océan. Je me suis aussi sentie parfois très petite, très vulnérable face à cette nature si grande et dont nous n’avons pas forcément la clé de compréhension.

 

Comment s’est passé le tournage pendant les 7 ans ?

Ce ne furent pas 7 années de tournage en continue puisqu’il y eut l’accident, puis le Corona. J’avais aussi des projets de mon côté. Par ailleurs, il fallait que je puisse atteindre la famille là où elle était, ce qui n’était pas toujours simple. Tout a pris plus de temps que prévu et cette durée a rendu certains thèmes plus intéressant comme la période d’adolescence des enfants. J’ai aussi choisi les situations et les tournages en fonction de leur état d’esprit, de leur port d’attache. Je les appelais et je voyais si je faisais le voyage et les retrouvais ou non. On ne peut pas toujours tout contrôler.

Les relations étaient à chaque fois différentes. Je devais leur confirmer ce que je cherchais à faire. Ils avaient des besoins, les enfants aussi. Nous avons eu beaucoup de discussion. Quand ils ont eu des crises, j’ai dû les convaincre qu’il était important de continuer le projet. Ils avaient aussi des doutes et des inquiétudes par rapport au film et ils devaient accepter de me faire totalement confiance. Je leur ai toujours laissé la possibilité de ne pas être filmés, ce qui n’est jamais arrivé. Je m’étais aussi engagée à faire attention aux images des enfants, à ne jamais les montrer nus par exemple. J’avais des engagements vis-à-vis d’eux. En contrepartie, j’ai pu aussi être présente lors des moments les plus intimes comme la naissance. Toutefois, je n’ai pas voulu être avec eux dans la salle d’accouchement, je les ai laissé vivre ce moment fort en famille.

Je leur ai confié une go-pro pour qu’ils filment en mon absence mais finalement, je n’ai pas utilisé beaucoup de leurs images. La majeure partie des images viennent de moi, même si j’ai été aidée pendant le passage en Arctique.

 

Avez-vous appris des choses sur vous-mêmes pendant cette période de 7 ans ?

Il y a eu de nombreuses expériences quand j’étais sur le bateau qui ont modifié mon rapport au temps et à l’espace. J’ai aussi été très impressionnée par les enfants à de nombreuses reprises, sur la manière dont ils sont connectés à la nature, dont ils interagissent ensemble, dont ils résolvent leurs conflits. A chaque fois que je revenais, je comprenais aussi que je devais modifier de nouvelles choses dans mon propre comportement. Par exemple, ils m’ont fait comprendre peu à peu que je devais apporter le moins d’affaires possible avec moi…

 

Le film est en réalité très axé sur les enfants. Qu’avez-vous appris d’eux ?

Les enfants ont peu de conflit et ça passe très vite Ils ont beaucoup de patience. Ils savent s’occuper avec peu pendant plusieurs heures. Ils peuvent aussi s’adapter à n’importe quelle situation. C’est très intéressant quand je compare à d’autres familles. Les aînés sont ainsi très responsables. A l’internat d’Engelberg, ils savent très bien s’auto-gérer quand on les compare à d’autres enfants. Dario et Sabine savent responsabiliser leurs enfants progressivement. Très tôt, dès 2 ans, ils ont une tâche à accomplir. Ils ne les forcent jamais, ils ne les mettent jamais en danger. Les parents en discutent beaucoup avec les enfants et ils attendent qu’ils soient d’accord de prendre telle ou telle responsabilité. Ils connaissent leurs ressources. Dario et Sabine ont leur propre perspective. Les enfants ont l’habitude ; ce ne serait pas la même chose si des parents décidaient de partir ainsi avec des enfants déjà adolescents qui devraient tout apprendre et n’ont pas l’habitude de cette vie. Je ne voulais pas défendre la famille et leur choix d’éducation mais juste montrer comment ça se passe. J’aurais eu du mal à faire un film avec des parents totalement irresponsables. J’ai trouvé intéressant qu’ils se questionnent constamment sur tout, dont l’éducation. Ils sont vraiment des parents responsables des enfants.

 

Lorsqu’ils naviguent sur l’océan arctique, Sabine avoue qu’elle se sent inquiète tout le temps. Avez-vous connu des moments de stress sur le bateau ?

Plusieurs fois, je me suis sentie inquiète lorsque la mer était très agitée. Mais je me rendais compte que j’étais la seule et que tout le monde vaquait tranquillement à ses occupations. Souvent quand je les regardais, je me sentais en sécurité car je savais qu’ils savaient ce qu’ils faisaient. Je n’ai pas tout fait avec eux car je ne m’en sentais pas capable. Ainsi, je n’ai pas participé à deux ascensions car je ne pensais pas avoir la forme physique suffisante pour y arriver. En Arctique, ils ont marché 24 heures… sans moi !

 

Comment ont-ils réagi en voyant le film ?

Ils sont heureux du film, très émus après toutes ces années intenses. Ils ont peur aussi que personne ne soit intéressés par leur histoire. Salina, la fille aînée, était aussi embarrassée de se revoir à 12 ans. Dario est généralement très critique, il préfère encourager les gens à vivre dehors et non à rester enfermés dans une salle de cinéma…. Mais lors de la projection à Zurich, il était heureux car il trouvait qu’à travers le film, on pouvait sentir la nature, l’Océan… et il était rassuré de constater l’intérêt des gens.

 

Quel fut votre meilleure souvenir ?

J’ai beaucoup d’excellents souvenirs. Par exemple lorsqu’on aperçoit pour la première fois la terre ferme après plusieurs jours de navigation. Une fois, je devais assurer un quart de nuit et j’ai aperçu une baleine qui a sauté devant moi. Je n’avais pas la caméra avec moi… mais j’ai gardé ce souvenir au fond de moi. Lors de l’accouchement, j’attendais avec les enfants et c’était très intime d’être ainsi avec eux. La vie était dense tout le temps !

Virginie Hours, reporter pour Color My Geneva – tous droits réservés

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