Culture, Loisirs

« Jungle rouge » sur grand écran, ou la révolution à l’épreuve du temps

Voici un film atypique et très réussi sur les derniers instants du numéro 2 des FARC Raoul Reyes.

En 2008, Raul Reyes (Alvaro Bayona), considéré comme le numéro 2 des FARCS (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie – armée du peuple) se cache dans la jungle avec une poignée de fidèles. Soutenu par sa compagne Gloria (Vera Mercado), il croit toujours en la victoire du peuple. Mais la pluie tombe, les forces gouvernementales les traquent, les négociations pour échanger des otages patinent, la folie guette…

“Jungle rouge” de Juan José Lozano et Zoltan Horvath

avec Alvaro Bayona et Vera Mercado

Date de sortie en Suisse : 31 août 2022

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Voici un film étonnant et particulièrement intéressant qui offre un bel éclairage sur les FARC et l’histoire de la Colombie. Les FARCS ont été créés en 1966 avec pour objectif principal d’obtenir un meilleur partage des terres au profit des paysans et des pauvres. Médiatisés notamment en 2002 lors de l’enlèvement d’Ingrid Betancourt, amie personnelle du premier ministre Philippe de Villepin, l’influence des FARC a périclité avec la mort de Raul Reyes, tué par une attaque combinée des forces gouvernementales et de la CIA. Le mouvement a signé un traité de paix avec le gouvernement en 2016.

Comme un clin d’oeil au colonel Kurtz du film « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola, le propos des réalisateurs est de nous faire entrer dans les pensées de son leader Raoul Reyes. Les suisses Zoltán Horváth  et Juan José Lozano (aussi de nationalité colombienne) connaissent leur sujet. Ils ont eu accès à une partie des milliers de mails retrouvés dans l’ordinateur de Raul Reyes peu après sa mort. Ces documents leur ont permis de saisir le fonctionnement et les dérives de cet idéologue qui peu à peu s’aveugle et se coupe de toute réalité.

Habitués aux films d’animation, Juan José Lozano  et Zoltán Horváth  ont choisi la technique de la rotoscopie pour tourner ce film : les acteurs jouent réellement leur rôle mais sur un fond neutre. Ensuite, ils sont redessinés et les décors sont ajoutés au pinceau. Cette technique est remarquable et donne au récit cette touche irréelle nécessaire pour souligner la bascule entre rêve et réalité. Ainsi, la jungle s’anime et devient un personnage à part entière, parfois protectrice, souvent hostile. Les réalisateurs y ont inserré des séquences plus animées et oniriques qui soulignent la folie grandissante de Raul Reyes à l’image de ce serpent omniprésent.

Autour de lui, évoluent les autres guérilleros, partagés entre espoir et lassitude. Le personnage de Gloria (parfaite Vera Mercado), sa compagne et fille du fondateur des FARC Marulanda, est remarquable. D’une fidélité à toute épreuve, elle sert de boussole dans cette ambiance délétère. Sa figure rappelle aussi que de nombreuses femmes se sont engagées activement puisqu’elles représentaient 33% des effectifs dans le corps guerrillero armé. Aspirant notamment à une émancipation dans une société encore très patriarcale et machiste, elles ont tenu un rôle non négligeable dans cette lutte. Le film reflète très bien l’aspiration de ces femmes et les difficultés qu’elles rencontraient à obtenir le respect et l’égalité.

Le sujet est toujours d’actualité. La Colombie a élu en juin dernier un ancien guérillero, Gustavo Petro, comme président, devenant ainsi le premier président de gauche du pays. Il a promis une « paix totale » lors de son discours d’investiture. En juillet dernier, le groupe « Bloque Suroriental », le plus important groupe dissident des FARC qui avait refusé de déposer les armes en 2016, a proposé un cessez-le-feu pour trouver une solution politique au conflit.

L’espoir renait.

Virginie Hours – reporter pour Color My Geneva, tous droits réservés

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