Tori et Lokita vivent ensemble dans un foyer d’accueil en Belgique. Ils viennent d’un pays d’Afrique, ont traversé la Méditerranée ensemble et ont juré de ne pas se séparer. Seulement, Tori a obtenu un permis de séjour tandis que la demande de Lokita est rejetée. Harcelée par les siens et par les passeurs qui réclament leur dû, elle tente le tout pour le tout…
Le film a remporté le prix spécial du 75e Festival de Cannes.
Tori et Lokita de Jean-Luc et Jean-Pierre Dardenne
Avec Pablo Schils, Joely Mbundu, Alban Ukaj
Sortie en Suisse : 5 octobre 2022
La première scène illustre bien le drame : le visage de Lokita est filmé en gros plan. Elle est concentrée sur les réponses à donner aux questions qu’une fonctionnaire, d’une voix douce mais ferme, lui pose. Peu à peu, ses yeux se voilent, on y lit la panique, elle s’enlise, se trompe, ne peut répondre et l’angoisse l’envahit… Elle fond en larmes. « On va arrêter l’entretien pour aujourd’hui » …
Bienvenue dans le cinéma des frères Dardenne. Luc et Jean-Pierre Dardenne sont nés à la fin des années 50 dans une région industrielle et ouvrière de Wallonie qui amorce son déclin. Cette région ne s’est jamais vraiment remise de la disparition de l’industrie lourde et le taux de chômage y est très élevé. Cette situation marque les frères Dardenne. Après avoir travaillé pour le théâtre, ils se consacrent à la réalisation de films de fiction. Tout comme l’anglais Ken Loach (Moi, Daniel Blake), ils cherchent à décrire les transformations de la société, posent un regard acéré sur les réalités d’un monde ouvrier et industriel qui malmènent l’humain. Ils sont parfois désignés comme les chefs de fil du cinéma social européen et les héritiers du cinéma néoréaliste italien. Leurs oeuvres sont reconnues. Ils sont des habitués du festival de Cannes où ils ont déjà obtenu deux Palmes d’or (Rosetta, 1999; L’Enfant, 2005), un Grand Prix (Le Gamin au vélo, 2011), un Prix du scénario (Le Silence de Lorna, 2008) et un autre de la mise en scène (Le Jeune Ahmed, 2019). Il ne leur manquait plus qu’un prix spécial…
Avec Rosetta, ils suivaient pas à pas une jeune fille qui cherchait à trouver un travail, clé nécessaire à une vie normale. Ils dénonçaient alors la précarité, le chômage des jeunes. Avec Le jeune Ahmed, ils se concentraient sur un jeune musulman tenté par la radicalisation. Cette fois-ci, ils s’attachent à deux jeunes africains, Tori et Lokita. Arrivés en Belgique et hébergés dans un foyer, ceux-ci aspirent aussi à une nouvelle vie. Tori a 10 ans, Lokita est majeure depuis peu. Très habilement, les frères Dardenne distinguent leur situation : Tori dont la personnalité d’enfant sorcier justifie d’obtenir l’asile, bénéficie d’une protection, va à l’école, a un avenir ; Lokita dont le récit est trop lacunaire pour être crédible, non. Ces deux-là sont inséparables, se rêvant frères et sœurs. Ils rencontrent des personnes humaines et affectueuses (le personnel du foyer, les assistantes sociales) mais elles sont impuissantes à les aider. Lokita est harcelée de toute part : sa mère se plaint et lui exige de l’argent pour payer les études de ses petits frères restés au pays, les passeurs demandent le remboursement des frais, les trafiquants de drogue abusent de sa précarité … Tous veulent profiter de Lokita, sauf Tori. Ainsi, les frères Dardenne dénoncent les multiples facettes de la traite humaine : tous sont responsables de l’angoisse et du désespoir de Lokita, des deux côtés de la Méditerranée.
Si Pablo Schils est touchant dans le rôle de Tori, Joely Mbundu est souvent trop statique dans celui de Lokita. Cependant, leur complicité est réelle et transparait dans tous le film. Tourné en Belgique dans la région du Liège et du Condroz, le film veut dénoncer la situation des mineurs non accompagnés qui arrivent en Europe. Il met juste le doigt sur la complexité des situations sans apporter de réponses.
Un film marquant qui questionne.
Virginie Hours – reporter pour Color My Geneva, tous droits réservés